lundi 18 avril 2011

Le refrain de sa vie...


Cette petite phrase revenait sans cesse, comme le refrain de son existence.

L'adage de son être, pour se résumer, pour se convaincre, pour me convaincre.

Elle me l'accommodait à toutes les situations, en faisait la conclusion à toutes mes questions.

Je finissais par les prononcer mentalement avant de les entendre, avant qu'elle ne les soupire en un souffle monocorde, ses sept syllabes.

C'était son petit tic verbal à elle, sa  bouée de mots dans le vide océan de sa vie.

Son " On était pas malheureux ..."

Je lui demandais de me raconter la guerre, la privation, de me parler de l'amoureux qu'on lui avait choisi, de ses journées au rythme du soleil, des vendanges et du potager, de cette vieille calèche dans le fond de la grange, de ce vase en éclat d'obus sur le buffet...
Avec des mots simples, elle mettait fin à la discussion.

"Tu sais la guerre, je ne me souviens pas bien , et puis, ici à la ferme on ne manquait de rien. On était pas malheureux..."
" Tu sais ton arrière grand-père Albert c'était un gentil garçon, il avait été gazé dans les tranchées, bon travailleur, avec lui je n'ai manqué de rien. On était pas malheureux..."
"Le travail de la terre c'est dur, on peut en être fier, on devient pas riche, mais au moins on meurt pas de faim, et puis, on avait pas besoin de grand chose. Tu sais ......on était pas malheureux."

Avec le temps, sillonnant ma propre route, à la lumière de mes désirs, de mes espoirs, à la douleur des mes renoncements, de mes échecs, cette petite voix de mon passé, ce petit refrain revenait résonnant, me hantant.
Je m'en voulais de mes insatisfactions de ma quête de bonheur.

Au jour dernier, assise sur le bord de son lit, à quelques battements du noir, je comprenais enfin.

Nous la savions toutes les deux sur le départ, elle a demandé si j'étais heureuse.
En une exclamation je lui ai dit :" Oh, Oui !" il me semblait que je le lui devait bien ce "Oui" sans appel fier et assuré.

Elle m'a regardé longuement,  puis,  très calmement sur un ton que je ne lui connaissais pas avec une tendresse mêlée de regrets résignés, elle a murmuré :

" Ça c'est bien. Ça me fait plaisir.
Être pas malheureux, tu sais,
ça ne remplit pas une vie,  mais ça m'a suffit."







9 commentaires:

  1. Elle avait tout a fait raison.. Quand je suis dans le fond, ce qui me fait toujours remonter, ce n'est pas l'achat, ni un futur projet grandiloquent, mais bien le présent dans ces petits bonheurs simples.. Cela aide en tout cas..Pourquoi les anciens, quand cela n'allait pas fort en couple, tenait toujours bon ? Ils s'attelaient à d'autres plaisirs de Terre et de Mer. La nature leur renvoyait leur liberté et autonomie car ils n'y devaient rendre aucun compte.

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  2. Comme elle me rappelle ma mémé.. C'est tout le bon sens des gens de la terre...Tu devais l'aimer beaucoup, tu en parles avec le coeur au bord des mots...Que de l'émotion ton texte...que de la sagesse aussi...tellement loin du quotidien de nos jours... je te souhaite un joli printemps

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  3. Parfois, cette expression pour tenter de se situer et de se retrouver au-delà des malheurs et des bonheurs...Dans une temps, des conditions où garder sa dignité relevait d'un défi aussi modeste que remarquable...

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  4. ha ! c'est dur l'air de rien...

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  5. La leçon de vie porte beaucoup mieux ses fruits lorsqu'elle est naturelle et pleine de tendresse. Tu en parles simplement comme SA vie et ces mots semblent couler de source. C'est du lait de tendresse qui habite tes mots.

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  6. Parce qu'il suffit souvent de pas grand chose, au bout du compte, pour "être pas malheureux".Merci pour ces mots qui font heureux.

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  7. La guerre, la dureté de la vie, le travail de la terre, les saisons...la vie pleine de gestes si familiers si répétés. Point le temps de s'interroger sur le bonheur ou le malheur, mais la sagesse de devenir philosophe...

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  8. Un petit mot pour te dire que je suis sorti de mon hibernation photographique, et que si je ne mets pas de commentaires sur tes textes, je les lis avec plaisir. Ils sont super !!!!

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  9. Ici à la ferme, on ne manquait de rien : quelques asperges qui prenaient leur temps pour dévoiler leurs fins plumeaux. Quelques melons qui sous notre soleil aride du midi et grâce à l'eau de la source toute fraîche puisée à la pompe à bras, donnaient leur pleine maturité dans une fine craquelure qui laissait s'exhaler de belles effluves sucrées ! Quelques cerises qu'on ramassait gaiement, en famille, tous haut perchés sur des chevalets en bois. Les bouches se remplissaient parfois plus vite que les paniers. Quelques pommes de terre, généreusement nourries aux crottins de cheval. Ce doux et serviable Coquet, qui malgré les années ne rechignait pas à la tâche! Quelques raisins de table ciselés à la main, bien dodus, tout brillants et si juteux sous la dent ! Ma foi, enfin, quelques lapins, quelques volailles et autres oiseaux de basse-cour, élevés au grain ; celui que l'on battait sur l'aire, en plein milieu de la ferme, par temps de mistral, pour qu'il se vanne bien. D'ici ou d'ailleurs, mon enfant, je te la répète indéfiniment on était pas malheureux ! Sur nos genoux calleux, sur nos mollets gonflés, sur nos mains crevassées et sur nos visages sillonnés, c'est l'amour du partage, le bonheur d'être ensemble et de faire partie de la vie sous tous ses aspects qui s'inscrivaient. Alors de là où je suis à présent, cette phrase je te la répète encore pour que tu la fasses tienne et que tu te remémores mon conseil : profitez, les enfants, profitez...

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Des battements d'ailes de vous à moi ...

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