samedi 17 juillet 2021

Indépendance...




Elle l’avait imaginé ce moment de la séparation.

Elle l'avait même, non sans culpabilité, espéré parfois.

Elle ironisait sur le bonheur de retrouver enfin sa douce liberté, sur le plaisir de s'abandonner à l'égoïsme oublié. 
Ce départ serait aussi naturel qu'un changement de saisons avait-elle dit ! 
   
Après tout, il y a un âge où il est bon de les voir partir.

Elle en avait utilisées des images surfaites des "quitter le nid", des "couper le cordon" des "voler de ses propres ailes"...

Elle en avait rêvé,  de sa caricature de fils-homme, sourire aux lèvres, les yeux remplis de la certitude de celui qui va conquérir le monde.

Elle, bras en métronome, joie non dissimulée, petites envolées de baisers et jetées de mots d'amour encourageants.

Flotterait alors dans l'air des odeurs de réussite, la satisfaction du maitre devant son chef d'œuvre achevé. Vingt quatre années de dur labeur, enfin récompensées.

Elle en avait fait un homme parfait....

Mais voilà qu’aujourd'hui, à l'heure du départ, tout semble si différent. Elle se tient immobile sur le seuil d'une maison comme endeuillée.

Le cœur à terre, que déjà quelques insectes dispersent. 
Bras ballants d'une poupée de fichons, intérieur de la joue tailladée à coup de molaires.

Toutes ses forces de mère sont concentrées sur ses canaux lacrymaux. Surtout ne pas pleurer, surtout ne pas entraver la joie du fils en partance, tenir au moins jusqu'à ce qu'il ne puisse plus la voir...

Sourire, sourire et que ce soit vrai !


Voilà plus d'une heure qu'il a disparu de son horizon, elle n'a pas bougé d'un micron. Ses pieds lui semblent enracinés dans cette gigantesque cour vide, devant le portail béant, elle est une microscopique femme dessous  l'immensité bleu.

 Elle a mille ans !

Elle le sent, ça l'empêche de bouger, au moindre mouvement, au moindre souffle c'est sûr elle se brise, s'éparpille et se disloque en un millions de poussières.


De la poussière de baisers, de nuits de veille, de la poussière de varicelle, de fièvres, de tables de multiplication, de mots d'amour, de larmes, de la poussière d'anniversaires,  de cache-cache, de Colin Maillard, de genoux écorchés, de la poussière de Perrault et d'Andersen…




samedi 10 juillet 2021

Le pull...




J'étais rentrée, ce soir là, avec en tête le petit pull en jacquard de la boutique en face de l’arrêt de bus.
Je l'avais regardé sous tous les angles, et j'avais décidé qu'il était fait pour moi.  Une étiquette discrète affichait 230 francs, autant dire, une véritable petite fortune.


J'enviais, non, je jalousais, mes copines à la mode à qui on achetait des pulls manufacturés, des pulls bien réguliers, la maille parfaitement serrée.
Moi, je ne  portais que des pulls tricotés, un peu relâchés, des pulls avec petites imperfections ci et là, des pulls qui gondolaient au fil du temps.
Des pulls tricotés par maman...
Des pulls, comme on ne les aime pas, quand on a quatorze ans.

 
Donc, armée de mon regard de chien battu, suppliant et docile, je me suis lancée dans une supplique afin d'obtenir le pull de mes rêves...
Elle m'a expliqué, sans même l'avoir vu,  à l'annonce du prix, qu'il était bien trop cher pour le budget de la famille.
J'ai dit des tas de choses alors,  que  je désirais en avoir un vrai, pas un faux fait avec des aiguilles, que je n'avais plus l'âge de me balader avec les trucs tricotés par ma mère, que c’était ringard, nul et moche...

La conversation en était restée là.


Un mois et demi plus tard, en rentrant du collège, était posé sur mon lit  le pull de la vitrine. Enfin,  presque lui, parce que le mien, ce n’était pas le vrai. C’était une imitation avec les mailles irrégulières, avec un col un peu trop serré. C'était un de ceux où l' on a du mal à passer la tête les premiers temps. Un de ceux qui vous grattent le cou au début et que l'on cache sous son blouson... Un de ceux sur lequel elle avait du passer tout son temps...

Je l'ai d'abord abandonné sur une étagère de  mon armoire.  Le même hiver, maman est tombée malade. J'ai eu envie et besoin de porter ce pull, son dernier pull...
 
Lui, je l'ai toujours.
Il a su m'accompagner chaudement toutes ces années;  et depuis je sais, qu'il est bien moins faux que ce que je ne le pensais... 



mardi 6 juillet 2021

Les groseilliers...

-->

Le potager de grand-père, c'était un petit jardin, pas plus de cinquante mètres carrés, caché derrière une haute haie de troènes bien taillée. 

On poussait le portillon de bois au vernis écaillé, et on se trouvait dans son paradis ouvrier.
Sa parcelle de liberté  au milieu des rangées de choux, de carottes, de tomates, de persil et d’artichauts. 

Un printemps il m'a offert un grand mètre carré, rien qu'à moi ! 

C'est facile à mesurer un mètre carré, vous savez !

Il avait  fait un grand pas, un quart de tour... puis un grand pas, un quart de tour... puis un grand pas, un quart de tour...  et encore un grand pas... et il avait dit : « ce bout est à toi. Mets y ce que tu voudras, mais un baobab n'y rentrera pas ! » 

J'avais à cette époque, des envies de séquoias, d’eucalyptus, de sapin de Douglas, au sommet desquels je pourrais voir la mer, toucher les nuages, questionner Dieu et pourquoi pas, redescendre mon chien que l'on m'avait dit, à cette époque, être monté au ciel... 

Mais dans un mouchoir de poche, d’un mètre de côté, rien de tout cela ne tenait...

J’ai fini par laisser ma gourmandise opter pour un groseillier.

Je me félicitais rapidement de ce choix. En effet, dès le premier été, malgré sa toute petite taille et le peu de soin que je lui avais prodigué, mon groseillier s’avéra d’une très grande générosité !

Les vieux groseilliers au fond du jardin avaient souvent pâles figures face à la fière rougeur des fruits qu’arborait le mien.

Je me suis d’ailleurs bien souvent moquée de la maigre production de mon grand-père et de ses vieux arbustes qui devenaient chaque jour plus avares que la veille…

Ma plante ne comptait que cinq frêles branches, mais me donnait, quotidiennement de quoi remplir mes joues, mon estomac et le saladier bleu de mamie.

Tous les matins d’été, à 11h30, je dévalais par l’escalier, les trois étages de l’immeuble, traversais la rue qui me séparait du jardin et rejoignais un Tupperware en main, mon aïeul à l’abri des regards derrière les troènes.

C’était alors, que sonnait, pour nous, l’heure de la cueillette, chacun de nous, dans son coin, à ses fruits…

Je récoltais frénétiquement mes grappes de groseilles, ne m’arrêtant que pour narguer, l’ancêtre tant aimé, dans de grands éclats de rire railleurs.
Plus mon grand père rouspétait, plus il menaçait ses plants à lui, d’arrachage, de coupes sauvages, plus il les traitait de fainéants, plus fort je riais…

Il me suppliait même parfois, de lui donner mon secret des récoltes miraculeuses… Je trouvais toujours, dans ces moments là, quelques bons conseils à donner avec la plus grande des assurances...

Bien entendu, rien n’a jamais été magique, ailleurs que dans ma tête d’enfant.

De la magie, née du coeur d’un vieil homme aimant, qui chaque matin avant ma venue, débarrassait ses vieux groseilliers de leurs fruits et les déposer sur les fragiles branches que je tentais de faire pousser …














Vous pouvez retrouver ce texte en version audio ici 




Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...