jeudi 13 octobre 2011

Une terrible beauté est née...

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Lise marchait sans but. 
Ses pensées ne se bousculaient pas à refaire le monde, elle s’offrait un instant de calme sur ce petit sentier forestier. 
Son pas léger suivait le tapis de feuilles perdues par les chênes.
C’est en s’arrêtant pour admirer un coléoptère qu’elle l’aperçut, cette petite chose dont elle allait tant s’occuper.
C’était un petit cœur rouge, pas plus grand qu’un grain de maïs.
Elle se demanda quel genre de plantes pouvait bien avoir produit un fruit pareil. 
Elle contemplait ce magnifique cœur posé au centre de sa paume. Elle pouvait presque l’entendre battre. 
Elle se dit qu’il lui fallait absolument le semer.
Elle le rangea précieusement dans sa poche de veste et rebroussa chemin.
De retour chez elle, elle chercha dans tous ses livres de botanique, dans tous ses guides de jardinage, alla même jusqu’à interroger l'omniscient google oracle ! 
Mais tous restaient sans réponse.
Ce cœur perdu l’avait bien été d’une plante inconnue…
Dans les semaines qui suivirent elle donna tout ce qu’il fallut d’eau, de terre, de lumière, d’attention et d’amour pour faire germer son cœur. 
Bien des mois s’écoulèrent avant qu’elle put voir le centre du pot se soulever, se craqueler puis naitre une verte et fragile pousse. 
Elle ne savait pas encore qu’une terrible beauté était née !
Dans les semaines qui suivirent la pousse devint tige puis tronc, se hérissa de puissants piquants et de feuilles tranchantes. 
La semeuse se blessait à chacun des soins qu’elle prodiguait à sa plante. 
Elle trouvait ce cœur, bien cruel avec sa dévouée protectrice, mais ne l’abandonna pas pour autant.
Au printemps, des grappes de cœurs en fleurs au parfum de passion vinrent au monde. 
L’ingrate fleurit, dans le noir une nuit et mourut.
Notre jardinière récolta un tapis de pétales jaunis, flétris et malodorants.

Lise n’eut aucun regret, un peu de peine certes, mais elle se dit qu’après tout l’important quand on sème, ce n’est pas ce que l’on va en récolter mais ce que l’on a fait grandir en soi ...








mardi 4 octobre 2011

Retrouvailles à la bolognaise...



Dimanche, elle descend de l'avion, le vol pour Bologne s'est bien passé.

Elle se dit que tous les aéroports du monde se ressemblent.

Elle suit le couloir lumineux, son bagage à roulette à la main, son petit bagage noir empli du nécessaire pour son escale de deux jours.

Elle croise inlassablement les mêmes inconnus partout qu'elle aille dans le monde.

Les mêmes joies des retrouvailles.
Elle passe à côté de ces corps, qui s’enlacent, qui frémissent, qui dévorent les longues absences, qui vibrent de désir et qui s'abandonnent à d'impudiques élans de l'être.
Les mêmes douleurs des séparations, les mêmes bras qui s’étirent, jusqu'à la limite du vide, les lèvres qui se déchirent, les yeux en fontaines et ces mots universels qui dans mille langues crient en silence à cet Autre, sur le départ, des mots d'amour des promesses d'absolu.

Elle s'extirpe de ce fleuve d’émotions, de ces flots de sentiments et de ce brouhaha des corps. 

Elle passe les portes et retrouve l'air du dehors, ajuste ses lunettes de soleil et saute dans un taxi.

Entre les mains de son chauffard italien, elle roule à vive allure vers son hôtel.

Elle dépose sa valise dans une petite chambre cosy et joliment décorée du centre ville.

Bologne ce n'est pas Rome mais des effluves de dolce vita émanent de tous côtés.

L’Italie, c'est quand même particulier, un peu magique, une atmosphère comme hors du temps...

Il fait magnifiquement beau en ce début d'octobre on se croirait mi-juin. Elle part seule à l'assaut de la ville, où l'attendent des splendeurs médiévales.
Elle s’attarde à une fontaine surmontée d'un Neptune en pleine de force de l'âge, passe par la basique et le palazzo puis, après une après midi de baguenaude s'en retourne à sa chambre prendre un bon bain en écoutant Chopin... 

Doucement, lentement, elle descend l'escalier qui mène au bar de l’hôtel prendre un verre.

Elle opte pour un Martini olive qu'elle boira au comptoir.

Elle regarde vaguement le bellâtre usé, au sourire à fossettes et aux yeux pétillants, qui pose son verre devant elle. Elle lui rend un sourire, lui donne le numéro de sa chambre pour l'addition et s'en retourne à ses pensées ...

Elle adore les apéritifs esseulée, accoudée au comptoir. Son cure-dent piqué d'une olive en main, regard noyé dans son verre, perdue dans quelques pensées, corps ouvert sur ses sens, elle pense. Elle pense à son travail. Elle repense à des mots glissés dans sa boite email. Elle pense que les manichéens, les stoïciens et Platon l'ennuient à mourir. Qu'elle aime l'Italie, qu'elle sera à Atlanta pour Thanksgiving, qu'elle doit se coucher tôt...

Une étrange sensation vient la sortir de son verre. Elle est de retour dans ce bar, bien présente et respire un parfum qu'elle a reconnu derrière elle. Un parfum doux et fort, enivrant et subtil...

Elle le sent se déplacer, il avance, l’entoure, l’imprègne.
Elle ne se retourne pas. Elle attend. Elle le sait a quelques pas d'elle. Elle espère que le corps qui transporte cette odeur est bien celui auquel elle pense, mais elle n'ose y croire...

Son cœur se serre, sa gorge se noue, elle ressent une violente douleur à l'estomac.

Elle redresse le buste, croise les jambes, lève un peu le menton, ferme les yeux, et inspire doucement mais très profondément. Au moment où elle entame ce mouvement du bassin pour faire pivoter le grand tabouret sur lequel elle est assise, une puissante main se pose sur son épaule et une phrase caresse son oreille : "Hey you, could I take a sit, please, let me be as close as possible, and tell me now what do you want for your brekkie" ce dernier mot à l'accent australien vient mourir dans son cou en un baiser tendrement déposé.

Un large sourire illumine son visage, son cœur bat des records de vitesse et ses yeux s'embuent.
Elle penche la tête sur le côté, fait un quart de tour sur son tabouret, ouvre grand ses bras, et étreint avec force cet homme qu'elle avait laissé, deux ans plus tôt dans l'aéroport de Sydney ...

Elle n'avait jamais oublié ce jour  d'hiver de juillet, se revoit encore accrochée à ses yeux, se libérer de ses bras, le quitter à la porte du sas, s'engouffrer en apnée pour la dernière fois dans un Boeing à la dérive au kangourou. Elle se revoit assise dans ce siège passager côté couloir, 23 heures dans un nuage de tristesse, la tête vide de promesses non échangées, le coeur entre deux hémisphères et l'âme déchirée...

Et il est là, ce soir, à côté d'elle, à Bologne, dans ce petit hôtel, ils se respirent se touchent, les peaux n'ont rien oublié. Même le barman s'est effacé, tant l'instant précieux est fragile...

Tout à coup elle grelotte, claque des dents, regarde autour d'elle et aperçoit ses pieds fripés au fond d'une eau refroidie.

Elle s'est, une fois encore, dans son bain et bercée par Chopin assoupie...

L'onirique brouillard de son esprit lentement se dissipe, s'évapore son australien et la nuit d'amour bolognaise que le songe annonçait...

Elle va quand même s'habiller et descendre au bar. Après tout, on ne sait jamais, la réalité parfois nous guide bien plus loin que l'on aurait pu rêver...






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