mercredi 21 septembre 2011

Sur l'établi...



Ils ont fait un appartement dans ton garage.

Ça sent la cuisine et le propre.

Mais par delà les murs blancs, je vois encore les ombres de mes bonheurs enfantins lorsque tu m’asseyais sur l'établi.

J'avais cinq ou six ans, peut être moins...

Je trônais sur les planches de bois martelées. Je m'accoudais à l'étau de fer usé. Je devenais les petites mains passeuses d'instruments, hésitantes et concentrées. J'attendais que tu nommes ou désignes d'un geste du menton l’outil que je devrais trouver au plus vite. Tu finissais ton travail un oeil sur moi, la tête pas entièrement à ton ouvrage.

Tu avais dessiné chacun de tes outils minutieusement, sur le mur qui les portait, au fur et à mesure qu'ils entraient dans ta collection.

C'était ton trésor à toi.

Une galerie de trophées, exposés dans un coin de ton garage, dans des odeurs de cuve à mazout, de transpiration, de vieux chiffons, d'huile de vidange, de bois sec, et de vieilles caisses à vendanges...

Dessous l'établi dans un tiroir, tu avais gardé le premier jeu de construction en bois de papa, et un méccano rouillé qui avait été maintes fois monté et démonté.

Mes petites mains fragiles farfouillaient tes trésors. Elles ouvraient tes boites à souvenirs, déshabillaient ton passé, étalaient sur le sol en béton gris des morceaux de ta vie et elles égrainaient sur ton présent l'anxiété de celui qui veillait sur mes petites mains maladroites d'enfant.

Je bricolais sous tes yeux aimants, tu me laissais tailler des bouts de bois, les écraser à grands coups de marteau, les scier pour n'en rien faire ...

Mon envie de bricoler s'envolait souvent, comme elle était venue. Tel un papillon passant sans plus d'hésitation à une autre fleur, je te laissais là, à ton garage et à tes trésors chamboulés...

J'oubliais derrière moi, un établi plein d'outils séparés de leurs ombres murales, des copeaux de bois, des tiroirs ouverts, un vent de démence avait balayé l'ordre de ton univers. 

Je déposais un baiser sur ta joue molle et piquante, et m'enfuyais déterrer d'autres merveilles, dans la cuisine de Mamie.

Bien des années après ; j'ai trouvé en vidant ta maison, dans ton tiroir à souvenirs, des bouts de bois mal taillés et écrasés que tu avais précieusement gardés.








Le texte est venu en croisant les images de Fabien. Je suis heureuse de ce partage ses clichés m'ont vraiment touchés. Merci m'sieur  ! :*

17 commentaires:

  1. Ton écriture a quelque chose d'unique et rare.On trouve des tonnes d'excellents blogs de bons écriveurs,des accrocs à la pensées, des sophistiqués du mots pas mal d'autres se la racontent et nous font de belles masturbations intellectuelles.Mais ici on trouve de l'émotion un bien rare une qualité émanant de l'être bien par delà le simple esprit.J'ai commencé à lire et suis allé jusqu'au bout en ressentant.Très sincèrement MERCI c'est pas commun de savoir ainsi donner.

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  2. C'est vrai ce commentaire anonyme. C'est une écriture toute simple mais rondement menée. Ça ronronne en quelque sorte. Il n'y a pas besoin de beaux mots pour faire de beaux effets.

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  3. et moi je pense que seuls les grands esprits qui maitrisent parfaitement leur art savent le faire partager avec autant simplicité.

    Touchée, "du bout du mot" comme d'hab !

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  4. J'avais trouvé la photo très émouvante et voilà que ton texte est une ouate de nostalgie sur l'empreinte des outils !
    bravo à tous les deux !

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  5. Merci à toi, m'Dame. Tes mots disent en grande partie ce que j'ai ressenti dans cet atelier à l'abandon qui sera détruit dans les jours prochains, un lieu emprunt de la mémoire des gestes et des outils absents et pourtant si présents par leur empreinte.
    Les ouvriers avaient commencé à retourner toutes les maisons du quartier, les murs avaient été éventrés, les escaliers abattus, et pourtant là, dans cet atelier, le béton était si propre, comme s'il avait été balayé aussi minutieusement que les outils rangés par celui qui avait fermé sa boite à outils avant de tourner le dos à son atelier.
    Merci, encore.

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  6. Une belle œuvre à la croisée de chemins: photo, souvenirs et tes mots: à chaque fois je me dis: pas possible elle a vécu plusieurs vies à emmagasiner les souvenirs qui affleurent avec bonheur.

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  7. J'adore. Je joue à ça aussi avec mes enfants, j'aime aussi quand ils oublient des dessins chez moi, je garde tout, d'autant plus qu'ils ne vivent pas avec moi.
    J'ai déjà transmis à mon fils la névrose de récupération, un écrou, un clou trouvé sur la route raconte une histoire, et sera utilisé un jour, peut-être, sûrement :)

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  8. Je reviens lire et relire, replonger dans l'atmosphère de bois taillés, vermoulus, heureuse d'un garage aux odeurs précieuses et pérennes ... C'est magique ces mots ...

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  9. Waou! c'est beau.
    Je suis toute chamboulée.

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  10. Je dirais comme anonyme en tout premier commentaire...
    J'aime passer ici me remplir de souvenirs... :)

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  11. Les choses les plus précieuses sont celles que l'on porte dans son cœur. Un texte plein d'émotions sur le fil du temps qui passe.
    Amitiés,
    Béatrice

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  12. Vous me redonnez envie d'écrire.
    Merci.

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  13. c'est bon de te lire : ce parfum d'enfance flotte autour de moi !

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  14. Ha ! ça nous a fait du bien de bricoler un peu me semble-t-il, merci avoir ajouté votre petit clou à la collection d'outils... Vers vous des pensées bricoleuses de rêves...

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  15. Oh! ..Si tu savais..:-))
    C' est tellement beau tout ça..tellement souvent si vrai...
    ..L' enveloppe de tes mots laissera à la magique photo de Fabien un parfum indéfinissable..:-))
    Bisous massicotés sur l' établi

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  16. Comme d'autres il me semble, j'aime beaucoup le premier commentaire d'anonyme, il souligne ce que j'aime particulièrement : toute la force de la simplicité, de l'émotion pure sans emberlificotage.
    Et à part ça j'aime beaucoup la photo aussi. Ah, les outils bien rangés, ça devient poétique aussi.
    Même quand ils sont de la marque Dexter ;)

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  17. je l'ai vécu aussi. mais je ne devais pas toucher. juste regarder, ce qui convenait aussi. des jours passés désormais, mais non oubliés.

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Des battements d'ailes de vous à moi ...

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