Vendredi, c'était le jour de la rédaction.
Je détestais ça.
Au moins le mardi je rentrais avec ma bulle en dictée, mais j'avais fait quelque chose, trop de fautes certes... Mais c'était déjà quelque chose.
Madame Poireau, elle avait toujours de ces idées pour les rédactions !
Comment j'allais m'en sortir cette fois-ci ?
Je fixais ma feuille de cahier jusqu'à ce que les lignes vides s'emmêlent, s'entrechoquent et se troublent. Je mâchouillais mon crayon de bois à l'en décaper, à en avoir les lèvres constellées d'éclats de vernis verts.
Comment pourrais-je commencer un devoir sur : « Votre père et vous. » ?
Elle le faisait vraiment exprès cette vieille chouette à lunettes !
Je pouvais en écrire des tas de choses sur plein de sujets, j'en avais des tonnes de bonnes histoires !
Pourquoi elle ne demandait jamais rien sur les animaux ?
Du style : « Vous et votre animal... »
J'aurais pu parler de poissons, de mes Jojo successifs, les stupides globuleux rouges, qui tournaient en rond toute la journée. Jojo n°1 l'infatigable nageur, qui ondulait crânement sa nageoire en tsar du bocal alors qu'il trainait de longues heures durant sa saucisse de crottes grises aux fesses avant d'arriver à s'en détacher.
Je pouvais raconter comment Jojo n°3 avait gonflé comme une baudruche à en avoir les écailles en piquants, une vraie râpe à fromage pedigree goldfish !
J'en connaissais, moi, du sensationnel, du merveilleux...J'en aurais trouvé des jolis mots pour faire durer le suspense... Si au moins, on m'avait demandé de rédiger sur mes Jojo !
Ou alors un sujet sur « Vous et votre oncle. », ça, au moins j’en avais un !
Tonton Greg c'était le meilleur des meilleurs. Il me racontait des histoires de grenouilles qui pouvaient fumer à s'en faire éclater. Des histoires de suppositoires qu'il me suffisait de rouler dans de la poussière de craies, et déposés incognito prés du tableau noir pour qu'immanquablement le prof se mette à écrire avec...
Enfin, tout un panel de fabuleuses histoires à mettre dans une rédac...!
Là, je devais me mettre à inventer ...
J'allais encore passer pour l'idiot qui en faisait trop. Mais je préférais ça.
Il valait mieux être un idiot, qu'un handicapé amputé du père(...)